L'Université au Moyen-Âge

Le Moyen-Âge est par excellence da ns l’esprit des gens, l’époque obscure et fermée au progrès. Cette image, créée par les humanistes de la Renaissance et véhiculée par les siècles qui suivirent, et jusqu’aujourd’hui, par les films historiques et dans une certaine mesure, fantastique, est bien sûr erronée. Je vous parlerais donc ce soir d’une grande invention médiévale, encore bien vivante aujourd’hui : L’Université.

Laissez-moi vous « plonger dans le bain », si je puis dire. Nous sommes à l’aube du XIIème siècle lorsque le pape Urbain II prêche la Croisade. Ne nous attardons pas plus sur ses conséquences politiques et économiques, mais intéressons nous à sa dimension culturelle. Les Croisades, au nombre de sept, vont mettre en contact deux grandes civilisations : chrétienne d’une part, et musulmane de l’autre. Présents dans toute la Méditerranée jusqu’en Espagne et au Proche-Orient, les musulmans ont développée le savoir. Alors qu’en Europe beaucoup d’antiques auteurs sont perdus ou incomplets, dans l’Empire Musulman on a rassemblé, traduit et recopié ces grands auteurs grecs et latins, Galien, Euclide, Ptolémée, Hippocrate … Mais plus que d’étudier la science des Anciens, les Arabes l’ont utilisé pour développer la leur. Ils ont faits de grande découverte dans le domaine de la médecine, de l’astrologie, de la botanique. Durant les Croisades, les chevaliers francs préfèrent souvent recourir à des médecins arabes, qui ont une plus grande connaissance du corps et savent par exemple réduire une fracture.
Le contact entre civilisation arabe et chrétienne se fait notamment en Espagne : Tolède et Grenade sont des grands centres du savoir, et les érudits latins viennent volontiers y séjourner pour s’abreuver à cette source de connaissance. Ces érudits, tel Gérard de Crémone durant la seconde moitié du XIIème siècle, en profitent pour traduire ou recopier les textes antiques, dans le but de les propager en Europe. En effet, contrairement à ce que l’on peut croire l’Eglise n’interdit pas et même favorise l’étude des textes anciens, car ils coïncident souvent très bien avec ses principes.
Le mouvement de la Reconquista va permettre à ce savoir de se diffuser. Tolède redevient chrétienne en 1085, avec tous ses manuscrits. La ville regorge de juifs, de chrétiens et d’arabes qui permettent la traduction de ses textes en langue locale, puis en latin. Les Juifs, notamment, ont traduits de nombreux ouvrages en hébreux, retraduits ensuite en latin.
C’est ce mouvement de savoir qui va être à l’origine des Universités. Le XIIème siècle les voit éclore, dans trois grands centres : Paris, Bologne et Oxford. Ces institutions sont d’abord fort modestes : elles n’ont même pas de locaux. Des maîtres enseignent à leurs élèves sur la place publique, le parvis des églises, la cour de certains hôtels. Ces cours prennent bien souvent la forme de débats. C’est progressivement que, sous l’égide même du Pape, la jeune Université se développe. Les maîtres jouissent du titre de clercs et de nombreux privilèges. Les puissants donnent de l’argent, des bâtiments, des livres aux Universités. Cette bienveillance des puissants s’explique notamment par la volonté du pape de former ses élites dans des centres « spéciaux », que sont les Universités.
La grande nouveauté de cette institution, c’est la pédagogie et le programme. En effet, on a un cursus bien précis : l’étudiant commence par étudier le trivium ( grammaire, rhétorique et logique), puis le quadrivium ( arithmétique, musique, géométrie et astronomie). Il poursuit ensuite, bien souvent, par des études de théologie. Car à l’époque, les études sont longues : le titre très envié et respecté de « docteur en théologie » se mérite …

C’est tout pour ce soir, la seconde partie demain ![img][/img]

Comparée à nos universités qui permettent d’étudier des domaines fort variés, l’Université médiévale n’a au début pour vocation que d’enseigner la théologie. En effet, si le Pape et les puissants la soutiennent, c’est parce qu’elle forme les notables et les théologiens qui les soutiendront ensuite à leur tour.
J’ai parlé dans ma première partie des auteurs antiques. En effet, le cursus de théologie se décompose en deux parties, dont la longueur nous laisse aujourd’hui pantois : on commence par étudier la philosophie dix ans, avant de se consacrer pendant quinze ans à la théologie, ce qui donne des études de trente-cinq ans ! Et ce, dans la mesure où l’élève, qui commence généralement à 15 ans, n’a pas étudié auparavant… on peut donc espérer décrocher le titre de docteur en théologie à cinquante ans minimum ! A une époque où la moyenne d’âge dépasse difficilement cinquante ans, on se rend compte de la longueur des ces études.
Durant les dix premières années, on enseigne ce que globalement on appelle «la « philosophie ». En vérité, sous ce terme se rassemblent beaucoup de disciplines très variées, allant des sciences naturelles à la logique. Il s’agit en fait de culture générale, ce savoir qui faisait la renommée des théologiens. Les cours prennent différentes formes : il peut s’agir de joutes oratoires entre maîtres et élèves, ou de ce qu’on appelle la lectio, durant laquelle le maître lit un passage du livre étudié à ses élèves et le commentent.
Une des pierres angulaires de ce savoir est la « logique ». C’est dans cette discipline que les auteurs antiques font office de « bible », et notamment Aristote. On lit, on commente sa Physique, et le Traité du Monde, que les médiévaux lui attribuent. L’auteur a exploré les sciences naturelles (même si on lit plus l’Histoire Naturelle de Pline à ce sujet), la logique, l’astrologie. On pourrait croire que les médiévaux n’élaborent rien et ne font qu’imiter leurs antiques prédécesseurs. Mais il n’en est rien. C’est avec l’essor des universités que va se développer la logique « médiévale » qui, même si elle est surtout tournée vers l’interprétation des textes sacrés, est une forme très poussée de réflexion. Les médiévaux apprennent à prendre de la distance vis-à-vis des Anciens : les cours prennent souvent la forme de débat, dans lesquels les antiques idées sont commentées et critiquées, voire remises en question.
Un problème type qui passionne les logiciens est celui-ci : comment l’Ange peut-il avoir le don d’ubiquité ( se trouver en plusieurs endroits à la fois) alors qu’Aristote et la logique enseignent qu’une personne ne peut occuper qu’un espace à la fois ? Même si ce genre de questions nous paraissent aujourd’hui futiles, elles sont la preuve que les médiévaux se questionnent, réfléchissent, cherche à éclaircir et non à obscurcir.
C’est au XV ème siècle que l’Université va changer radicalement. A cette époque, elle s’est répandue dans tout l’Europe : après Salamanque (1218), Montpellier ( 1221), et Naples ( 1224), la chrétienté se couvre d’universités, même si Paris, Oxford et Bologne restent les plus prestigieuses. Tout d’abord en France puis dans toute l’Europe, la vocation de ces instituions changent. Avec le gouvernement de Philippe le Bel (mort en 1314), surtout constitué de notables et clercs, la royauté s’entoure de conseillers non-nobles ou cléricaux. Or, quel meilleur chemin pour les former que l’Université. La théologie devient alors un simple cursus, tout comme les deux autres alors en vogue : médecine et droit. Certaines universités développent aussi l’astronomie, les sciences naturelles. Ce qui permet notamment se développement, c’est l’industrie du livre qui est en plein essor : les enlumineurs laïcs se multiplient et ouvrent leurs ateliers en ville, vendant les précieux ouvrages à des prix bien plus bas qu’auparavant. L’étudiant du XIIème siècle devait aller visiter les monastères et les bibliothèques des puissants, l’étudiant du XVème siècle crée la sienne.
Durant le siècle suivant ces instituions ne vont cesser de prospérer, mais perdent peu à peu l’autonomie de leurs débuts. Elles s’assujettissent aux puissants, et sont pour eux un moyen d'asseoir leur autorité: en conquérant la Normandie en 1415, Henri V, roi d'Angleterre, ne crée-t-il pas pas l'université de Caen? Mais la « révolution universitaire » aura marqué le Moyen-Âge et développé une connaissance comme nulle autre auparavant … c’est sans doute l’une des plus belles réussites du Moyen-Âge, puisqu’elle est encore bien présente aujourd’hui.

Voilà, j'espère vous en avoir appris le maximum

Très enrichissant, vraiment instructif....
merci sir Lailoken pour ce petit^^ cour de culture général!!!
Au plaisir, d'en lire encore....

Très agréable ! Et bon travail ;-)

Merci Lailoken

merci à tous deux, c'est toujours un plaisir d'apprendre et de permettre d'apprendre