LES BAINS ET THERMESUne miniature du début du 16e siècle illustre une scène où des
prostituées se lavent en attendant le client ( Cela reprend l'idée de
Messire Ace sur le Post cité plus haut). L'aspect ludique a disparu ; ici
l'eau n'est plus source de plaisir, mais moyen d'hygiène banal : les
cuviers sont de dimensions si réduites qu'on ne peut s'y laver que les
pieds ou les cheveux.
Finis les bains d'immersion, voici venue l'ère des ablutions. Le temps des
" bordiaux ", où les prostituées et les clients s'aspergeaient
copieusement, est bel et bien révolu.
On l'a déjà dit, l'eau n'est pas réservée au seul plaisir. On est convaincu,
dès le 11e siècle, qu'elle a des vertus thérapeutiques. Dans tous les
traités de santé du temps, on vante les bienfaits des eaux thermales.
Déjà Galien, au 2e siècle après Jésus Christ, avait décrit les bienfaits
des cures thermales, pour la santé. On commence à les redécouvrir
grâce à la venue d'empereurs comme Frédéric de Hohenstaufen en Italie,
grands amateur d'eaux. Le poète Pierre d'Eboli, attaché à la cour de
Frédéric, au début siècle, en chante les louanges, et la plupart des
miniatures que nous possédons proviennent des manuscrits représentant
les thermes et les curistes.
L'eau bouillante qui pugnest les morts
Je vous di que celle meisme
Malades vifs rent saints et fors
Vous qui n'avez denier ne maille
Et qui voulez estre garis
Garis serez aus bains...Ce sont principalement les sources de Pouzzoles, de Cumes, et Baïes en
Campanie, qui sont vantées, pas seulement par Pierre d'Eboli mais aussi
par Barthélemy l'Anglais ; ces miniatures nous montrent les piscines et le
comportement des curistes. On y voit aussi les cabines de déshabillage.
Selon les textes, hommes et femmes prenaient ensemble leur bain, mais
les images ne sont guère révélatrices.
En 1345, aux bains de Prorecta, il est conseillé de rester un jour sans se
baigner pour s'habituer à l'air du pays et se reposer des fatigues du
voyage. Puis le malade doit passer au moins une heure dans le bassin de
pierre empli d'eau tiède, avant de boire, jusqu'à ce que le bout des
doigts se crispe. Ce bain ne fatigue nullement, au contraire ; il mûrit les
humeurs diverses dans tout le corps et les prépare à être évacuées. Nous
avons un témoignage assez étonnant sur les bains de Baden, écrit par Le
Pogge, humaniste italien, en 1415. Au centre de cette ville d'eau, "se
trouve une place très vaste, entourée de magnifiques hôtelleries dont la
plupart possèdent leur piscine particulière. Dans les bains publics
s'entassent, pêle-mêle, hommes et femmes, jeunes garçons et jeunes
filles, et tout le fretin environnant. Dans les piscines privées hommes et
les femmes sont séparés par une cloison, criblée de petites fenêtres qui
permettent aux baigneurs et aux baigneuses de prendre ensemble des
rafraîchissements, de causer et, surtout, de se voir. Le costume des
hommes consiste en un simple caleçon et celui des femmes en un léger
voile de lin ouvert sur les côtés, qui ne voile d'ailleurs ni le cou, ni la
poitrine, ni les bras". D'après ce témoin, les femmes faisaient souvent
"ces repas en pique-nique, servis sur des tables flottantes, dans les
bassins, auxquels les hommes sont invités". On peut imaginer qu'il y
avait dans ces lieux de véritables malades, mais surtout des gens bien
portants qui venaient là pour conserver la santé d'autant plus que ces
eaux chlorurées sodiques sont excellentes, de toute manière, et aussi
pour se divertir, pour y trouver des moments de détente et de bonheur,
enfin pour y faire des rencontres.
En France aussi, à la même époque, les stations thermales sont très
fréquentées. Ainsi Flamenca, roman du 13e siècle, fait état des bains de
Bourbon-l'Archambault aux vertus bienfaisantes. "Il y avait de nombreux
établissements où tous pouvaient prendre des bains confortablement. Un
écriteau, placé dans chaque bain, donnait des indications nécessaires.
Pas de boiteux ni d'éclopé qui ne s'en retournât guéri. On pouvait s'y
baigner dès qu'on avait fait marché avec le patron de l'hôtel, qui était en
même temps concessionnaire des sources. Dans chaque bain jaillissaient
de l'eau chaude et de l'eau froide. Chacun était clos et couvert comme
une maison, et il s'y trouvait des chambres tranquilles où l'on pouvait se
reposer et se rafraîchir à son plaisir."
Le seigneur du lieu, le compte d'Archambault, mari jaloux, fréquente ces
lieux, puisqu'il y amène son épouse pour la distraire et qu'il reste en
faction devant la porte pour la surveiller. Il est vrai qu'il la conduit dans
l'établissement le plus cher et le plus luxueux de la ville afin qu'elle
recouvre prétendument la santé... Pour elle, il est ordonné de laver
soigneusement la cuve et d'y renouveler l'eau. Ses servantes y apportent
les bassins, les onguents et tout ce qui est utile au bain. Grâce à ce
roman, on apprend que les hôteliers exagèrent toujours leurs prix et qu'il
faut souvent marchander. Les plus belles chambres sont " à feu ", et fort
bien décorées.
Les stations thermales, on l'a dit, attirent une clientèle variée. Mais il
semble que beaucoup de curistes venaient s'y régénérer, dans l'espoir
d'une nouvelle jeunesse. Ce mythe de la fontaine de jouvence, souvent
attesté par les manuscrits des 14e et 15e siècles, parcourt toutes les
civilisations et le lien entre les vertus médicinales et la vertu fécondante
de l'eau explique ces cérémonies religieuses au cours desquelles on
plonge la Vierge Marie dans un bain rituel, pour la régénérer. Au Moyen
Age, on immergeait aussi les saints, le Christ. Cependant, à la fin du
15e siècle, se profile un changement complet dans les mentalités, qui
s'étalera sur plusieurs siècles. L'eau estime-t-on - est responsable des
épidémies et des maladies, croyance non dénuée de fondement en cette
fin de Moyen Age où les tanneurs, les teinturiers, les bouchers jettent
leurs déchets dans les rivières et les polluent.
Par réaction, les médecins commencent à penser que le bain lui-même
est malfaisant pour le corps, que les miasmes de la nature pénètrent
d'autant plus facilement à l'intérieur du corps, que les pores sont dilatés
sous l'effet de la chaleur, laissant un libre passage aux maladies. Plus
question de chanter les louanges du bain : il faut se méfier de l'eau et
n'en user que très modérément. Dans un tel climat, ne subsisteront des
pratiques antérieures que celle des pèlerinages aux sources
guérisseuses, en tout cas en France. L'Allemagne, en effet, ne se privera
pas totalement du recours à ses bains.
Cette disparition de l'hygiène dans notre pays va de pair avec une
évolution de l'Eglise romaine, qui tend de plus en plus vers une rigidité
morale niant le corps. L'ère de la crasse commence, et elle durera
jusqu'au 20e siècle.
A la fin du 15e siècle
ce qui était purification
devient souillure, et le
bain un danger pour
l'âme comme pour le
corps.Merci au manuscrit de Messire Elrik
tiré de travail de Monique Closson...