J'ai écrit ce texte après ma participation au tournoi d'herblay, en 2006. Arrivé 2nd, j'étais aux anges.
"Ma main fait presque le double de son volume initial. Au lieu de mes longs doigts fins de crayonneur, je vois briller de multiples écailles d'acier qui se plient et se déplient selon ma volonté grâce à un système articulatoire dont j'admirerais toujours nos ancêtres pour l'avoir pensé. Je suis lourd... Si lourd... Mes pas d'habitude légers s'enfoncent dans la terre humide et la paille. Chaque pas résonne dans mes oreilles, car c'est un carillon de pièces métalliques qui vient sonner, faire de moi cet instrument de chair et d'acier. Je ne suis plus étudiant en Lettres Modernes. Je ne suis plus l'accro aux forums planqué derrière son pc, je ne suis plus le frêle Alexandre penché sur son cours où les dessins tiennent plus de place que l'écrit. Je suis Alek.
...
La main gantée de métal saisi la longue fusée de cuir noir et extirpe l'épée du sol, emportant quelques éclats d'une terre noire que je ne connais pas. Ce n'est pas la mienne, je ne suis pas chez moi. Cet air, ce paysage, ces gens, leur langue que je ne comprend pas mais dont je reconnais des ressemblances à certains de nos mots. Des poissons argentés arpentent la rivière à l'eau vive et aux reflets d'acier semblables à ceux de cette armure qui protège mon corps. Vers le ciel se dresse cette cité et son point culminant, cet incroyable château, ses hautes murailles, ses allées, ruelles, arches, appartements, maisons, fenêtres, meurtrières, tours. Un complexe ensemble qui ne forme qu'un terrible bloc aux allures de granit. Indestructible, imprenable. Non je ne suis pas chez moi, je suis en Italie, à Castell'Arquato, et je n'ai plus que sept pas à faire avant d'arriver devant la lice, déjà ils appellent les combattants.
...
Il vient de prononcer mon nom avec son drôle d'accent. La foule applaudit, comme pour tous les autres combattants. Je suis au centre de la lice, je lève ma main et salue ces étrangers venus assister à ce tournoi. Ils sont venus ici, hommes, femmes, enfants, pour nous voir combattre. Pour nous voir lutter et donner le meilleur de nous-même. Nous sommes ici pour nous, égoïste, chacun est présent ici pour son Graal. L'adrénaline, le sport, l'apprentissage, l'expérience, l'honneur, chacun dessine ses rêves et vient leur donner forme. Je vais quitter la lice et le crieur me retient, il baragouine dans sa drôle de langue une annonce que je comprend. Il vient d'annoncer à tous que je me tenais ainsi pour la première fois. C'est mon premier tournoi. J'ai rêvé cet instant, ils me regardent tous, je les ferais rêver pour qu'un jour ce rêve leur prenne les tripes et ne cesse de les dévorer jusqu'à ce qu'enfin ils saisissent l'épée et viennent nous rejoindre. Certains d'entre nous penserons comme moi à cet instant: Je ne me bat pas que pour moi aujourd'hui. Je me bat pour eux. La symbiose s'opère, leurs cris me donne la force, me font oublier l'effort que je fournis afin de maintenir ce salut haut dans les airs, ils me font oublier un peu plus mon corps, ma chair, et ce applaudissements animent désormais mon armure, guident mon épée. Qu'ils crient! Que la foule se déchaine! Nous nous battrons pour nous, et ils auront leur part de spectacle. Nous sommes les gladiateurs du XXIe siècle!
...
Je suis dans les Caves Saint Sabin. Habillé d'une tunique maladroitement taillée et cousue, et des bouts de jean noir découpés cachent mes Caterpillar. L'armurier tient son stand dans un petit renfoncement. J'y vais souvent pour regarder ses armes avec envie. Un jour j'en aurais une. Et dire que des gens se battent avec ça! Ca doit être énorme. Je m'assois à côté de cet énorme bonhomme, comme un enfant s'assied sur les genoux du père Noël. Depuis quelques soirées à la taverne je squatte son stand. Ce soir je suis assis à côté de lui, et je lui dis: "Fais moi rêver! Parles-moi des tournois!". J'aime tellement entendre ses histoires! Des choses incroyables! Il me parle de gens en armure, d'un belge de plus de cent kilos en armure qui a réussi à le soulever et à le jeter, alors que lui-même était en armure! Les monstres! C'est fabuleux! Il me parle de tournois, de Hackaland, de la République Tchèque, de pièces d'armure, son projet d'ouvrir un jour une boutique, de techniques, de finales, de victoires. Je suis si bien ici... Un jour je me battrais, à mon tour.
...
Le petit italien n'arrête pas de bouger. J'esquive ses coups maladroits sans trop d'effort. Je suis un peu trop timide. Les arbitres comptent les coups portés mais pas d'arrêt entre les touches. Il fend l'air avec ses deux armes. Je suis là, ça y est... J'en ai le tourni... Je suis là en train de me battre, je sautille sur place. Les gens viennent de voir un homme d'acier sautiller sur place dans la lice comme un ado surexcité. Je me jette dans le combat. Il tourne sur lui même, m'offre des cibles, encore et encore. Ma lame s'abat sur son armure en de multiples points. Ses lames me touchent aussi, je n'ai pas le temps de regarder en direction des points. Je plie son casque, il chute, je le relève, les gens applaudissent, nous nous battons encore. Je bouge... Mes muscles souffrent mes kilos d'acier supplémentaires, mais ils répondent à mes désirs, pour le moment. Et je saute, je frappe, je me bats, c'est bon! J'adore ça! Ca tourne partout! Des cris, des applaudissements, Toeffel me regarde là-bas. Je suis moi. Entièrement moi. Je suis Alexandre, étudiant en Lettres Modernes à l'université de Cergy Pontoise. Aujourd'hui je ne dessine pas, mes doigts fins sont serrés sur le manche de ma lame à travers ces énormes gantelets. Je suis Alek, et je vais battre cet homme! Du moins je vais me donner à fond pour! J'aime quand ces gens me regardent. C'est cela! Criez quand je bouge, criez quand je frappe, applaudissez quand je gagne. Vous êtes ma force, sans vos voix, je ne serais pas aussi plein. Mon coeur ne battrait pas aussi vite. Mes muscles n'auraient pas cette douce tension qui les fait vibrer au moindre influx nerveux. Je me bat pour moi. Merci Marc, merci Toeffel...
...
Je lève le couteau vers le ciel et je crie. Mince! J'y suis! Je l'avais dit! Il y a un an! J'étais dans le public et je disais à mes amis: L'année prochaine, je me bat! J'y suis! Je garde ce bras en l'air, balaye du regard la foule qui applaudit la remise des prix. Je suis au tournoi d'Herblay 2006, je suis 2ème. Jessica à perdu la voix à trop me la donner. Merci à tous. Merci à tout. Merci... Merci... Merci! "
...
J'aime me battre.
Accueil 
Portail 
Rechercher 
S'enregistrer 
Musique 
Connexion 
Dim 27 Mai 2007 - 8:46
