Les enfants au travail
A la campagne
Les filles et les garçons ne se voient pas investis des mêmes rôles. Les premières ont vocation à rester dans l'espace de la ferme pour aider leur mère. Les seconds sont commis aux tâches masculines : travaux des champs et des vignes, tonte, arrachage des mauvaises herbes, ramassage du bois, vente au marché.
La besogne ne manque pas et les aînés sont particulièrement mis à contribution : "Tard couché et tôt levé, voilà la vie que j'ai toujours menée", se lamente un grand frère, dans un fabliau du XIIIe siècle.
Les menus travaux Quelques textes agronomiques et des dizaines d'images peintes dans les manuscrits détaillent les charges qui incombent aux enfants dans le monde paysan. Aux plus petits sont confiées les tâches ingrates, mais sans danger ni fatigue excessive : celles du petit jardinage, de la chasse aux insectes (hannetons), aux batraciens des jardins et aux oiseaux, qui viennent picorer les semences fraîchement dispersées dans les billons. Postés dans des cahutes au milieu des champs, ils sont chargés d'actionner des clochettes accrochées à des fils, sillonnant le terrain dès que les oiseaux se posent. À l'aide d'une fronde, ils suivent le semeur et tuent les corbeaux qui viennent lui chiper le grain à peine semé. Ils sont également chargés de grimper aux arbres pour cueillir les petits fruits, amandes, cerises ou olives. Ils suivent leur père dans ses travaux saisonniers (tonte des moutons, vendange), à la fois pour l'aider et pour apprendre les gestes du métier, et vont avec lui au marché où ils s'initient aux techniques de la vente des produits.
Les garçons aux champs Dès l'âge de 8 à 10 ans, les garçons accompagnent leur père aux champs au moment des labours ; ils l'aident à guider le bœuf pour l'obliger à aller droit. Ce travail ne va pas sans fatigue ni sans dangers : la glaise est lourde et collante sous les pieds, les enfants glissent, le père ne peut arrêter le bœuf et le soc de la charrue laboure leurs jambes, les handicapant à jamais. La garde des troupeaux, qui débute au même âge, est tout aussi génératrice d'accidents. En plaine, il se trouve toujours un passant secourable, mais, isolés dans la montagne, les petits bergers blessés ne survivent pas à une chute dans un ravin.
Les filles à la maison Les filles sont davantage à l'abri : leurs tâches domestiques et agricoles sont circonscrites autour de la maison, dans le poulailler, le jardin potager. Elles font la vaisselle, rangent la maison, nourrissent les volailles, ramassent les salades et les fruits, et s'occupent des bébés.
À partir de l'âge de raison, si l'on en croit l'exemple de Jeanne d'Arc – "Jeannette", comme l'appellent ses parents et ses proches –, la petite fille est initiée au filage puis, dans son cas, au métier de couseuse de toile de lin. D'autres fillettes se spécialisent dans des travaux textiles variés : broderie au point de croix pour les linges d'église, décoration de bourses ornées de perles, etc. Comme toutes les petites filles de son temps en milieu rural, Jeanne mène une vie active : elle fait le ménage, aide son père aux champs et nourrit les animaux, mais trouve néanmoins le temps nécessaire pour aller à la messe ou visiter les malades pendant que ses parents, qui n'éprouvent pas le besoin de la surveiller, la croient aux champs.
A la ville
Très tôt, les enfants aident leurs parents à l'atelier ou à la boutique, mais ils n'exercent pas de véritable métier avant l'adolescence.
Premières activités Les enfants sont mis à contribution dès leur plus jeune âge : ils aident à porter la marchandise et font les courses. Dès qu'ils ont acquis à l'école les rudiments de la lecture et du calcul, vers 8 ou 10 ans, ils peuvent même tenir la boutique et vendre des denrées en l'absence de leurs parents. Ils accompagnent également leur mère au marché hebdomadaire. C'est en effet aux femmes qu'est traditionnellement dévolue la responsabilité de commercialiser les produits fabriqués par leur mari. Cette tâche n'est pas du tout dévalorisante, puisqu'elle implique qu'elles sachent compter pour recevoir et rendre la monnaie, lire et écrire pour noter les dettes (beaucoup de citadins de la fin du Moyen Âge ne survivent que grâce à l'endettement).
L'apprentissage Philippe de Novare, au XIIIe siècle, affirme que l'on doit "à l'enfant apprendre tel métier qui convient à sa position sociale et on doit commencer le plus tôt possible". Mais ce conseil est peu suivi dans le cas des gens de métiers, car les artisans et les marchands se méfient de la mauvaise qualité des produits manufacturés par des enfants. Ainsi, sauf conditions familiales particulières (les orphelins, qui doivent être placés auprès d'une famille d'accueil), les garçons sont rarement mis en apprentissage avant 13 ans. L'âge des apprentis fluctue entre 14 et 25 ans, avec un placement en moyenne vers 15-16 ans : légalement, il s'agit donc d'adultes. Les filles, en revanche, peuvent être confiées beaucoup plus jeunes, entre 8 et 12 ans, à des personnes de confiance (prêtres, couples de bourgeois) pour apprendre à faire le ménage ou les travaux d'aiguille.
Les enfants sont surtout placés dans les métiers de bouche, l'artisanat et le commerce, notamment les activités textiles. Celles-ci ne sont pas – hormis le filage – réservées aux fillettes : le tissage et même la broderie sont aussi des métiers masculins. Les jeunes apprentis de ces grandes industries (les "enfants de fabrique") apportent de la laine aux fileuses avant de porter le fil obtenu chez les tisserandes.
De futurs concurrentsTous les enfants ne sont pas mis en apprentissage. En règle générale, ils apprennent le métier avec leur père. S'ils sont trop nombreux, les plus jeunes sont confiés à des confrères. Mais, dans les boutiques, le nombre des apprentis est strictement contingenté pour ne pas concurrencer et défavoriser les maîtres qui ne pourraient en accueillir qu'un seul, faute de place. Aussi, dans certains métiers, l'entraide exige qu'on n'engage comme apprenti qu'un fils ou une fille de gens de la même profession ; c'est le cas des filles de corroiers (fabricants de courroies). Les filles comme les garçons peuvent être mises en apprentissage artisanal, mais il leur est parfois interdit de reprendre une activité semblable à celle de leurs parents, pour ne pas leur faire concurrence…
Une deuxième familleLes apprentis vivent dans la famille du maître. Ce dernier doit leur enseigner son métier sans leur dissimuler aucun secret de fabrication. Il s'est engagé contractuellement, devant notaire, à se comporter avec eux "comme un père" et parfois même à leur faire donner des leçons de lecture, d'écriture, voire de grammaire (c'est-à-dire de latin), en échange d'une somme, souvent importante, concédée par les parents. Les apprentis passeront plusieurs années chez lui. Au XIIIe siècle, le Livre des métiers d'Étienne Boileau précise la durée de l'apprentissage pour chaque profession ; dans la majorité des cas, la durée varie de huit à dix ans ! À la fin de l'apprentissage, l'apprenti deviendra un "valet". Seuls les fils de maîtres de métier peuvent accéder à leur tour à la maîtrise ; à l'extrême fin du Moyen Âge, même en ville, il existe peu de possibilités d'ascension sociale.
Brutalité, brimades ou exploitation n'épargnent pas toujours les jeunes apprentis. Cependant, les maîtres violents risquent de passer en justice sur plainte des enfants, après expertise médicale. Peu d'artisans peuvent se permettre d'être condamnés, au risque de perdre leur revenu et d'être mis au ban de leur milieu professionnel, très surveillé et n'hésitant pas à recourir à des moyens coercitifs. Enfin, les confréries protègent les veuves et les orphelins de gens de métiers, grâce à une assurance matérielle financée par l'ensemble des artisans d'une même branche.